Qui n'a pas rêvé un jour de se promener sur une plage et de découvrir par hasard une bouteille contenant un message? Une de cette découverte qui donne le goût de partir à l'aventure et ne jamais revenir. Voici une histoire vraie...
Je suis cette bouteille-là, et laissez-moi vous raconter mon histoire, qui est merveilleuse, mais teintée aussi d'un brin de tristesse. Je n'en crois pas mes yeux. Est-ce croyable? Mon périple serait-il enfin terminé après avoir passé exactement trente-cinq années à me promener au gré des vents et des marées.
Ou vais-je repartir tout simplement en voyage, ballotée encore et encore par les vagues, au large du grand fleuve Saint-Laurent? Ainsi, au gré de ces vagues et du hasard, j'aurais pu échouer n'importe où, ou pire alors, le message ne jamais être lu.
Non, croyez-moi, je ne rêve pas. Je suis vraiment allongée sur une plage immense, à l'abri des regards curieux et coincée entre des galets de différentes couleurs et des brindilles de bois flotté.
C'est certainement l'été, car le soleil est haut dans le ciel. De plus, je suis recouverte de minuscules larmes d'eau salée, la certitude que je viens tout juste d'arriver sur le rivage. Tout est si calme et l'horizon à perte de vue. Où suis-je exactement? Je n'en ai aucune idée.
Ah! Je crois apercevoir une indication là-bas près de la route: Bienvenue à Sainte-Félicité. Je suis complètement perdue, mais au moins en sécurité. La prochaine marée me fait tellement peur, en espérant qu'elle ne m'entraînera pas encore au large. Je suis si fatiguée de voyager sans boussole et sans destination précise.
Par ailleurs, je peux vous dire que j'en ai vu de toutes les couleurs durant ces trente-cinq années passées en cavale maritime. Des mers calmes aux murmures endormeurs... des mers sauvages comme des fauves brisant leurs lames sur des grands rochers noirs, accompagnées par le rugissement du tonnerre... des mers glacées où le silence nocturne était roi et maître. Des saisons et des saisons en balade nautique. Je peux vous affirmer en toute modestie que j'avais indéniablement le pied marin.
De plus, que dire de ces voiliers magnifiques aux voilures claires comme des matins d'été, qui passaient souvent non loin de moi. Accompagnés d'acrobates de fortune, volant haut dans le ciel, ces oiseaux de mer qui faisaient entendre leurs cris déchirants.
Et, d'autres, ivres de liberté, qui claquaient allègrement leurs ailes au vent du large. Des paquebots immenses d'où j'entendais le chant des matelots, mêlé à de la musique douce comme une brise marine, navigant aussi sous un ciel pur et étoilé.

Sans oublier, toute cette faune marine, aux formes variées et aux couleurs magnifiques vivant au fond de cette majestueuse nappe d'eau salée. Tout ce monde sous-marin agrémentait mes instants de solitude, tout en me donnant une minime lueur d'espoir d'atteindre un jour le rivage en toute sécurité, afin de livrer le message qu'on m'avait confié.
Quel bonheur aussi lorsque passait parfois près de moi, en m'effleurant avec sa peau luisante et humide, un phoque ayant fière allure, nanti d'un regard de velours baigné de tendresse. Ce gentil clown des mers me donnait à coup sûr le courage de continuer ce voyage interminable.
Un jour, une sirène au corps gracieux et élancé me fit entendre son chant moqueur et envoûtant. Ce n'était peut-être qu'un rêve. Une sirène de mer dans les abysses du grand fleuve? Mythe ou légende? Nul ne le sait. Mais, en toute franchise, j'aimais bien y croire, l'espace d'un instant.
Réchauffée par les rayons ardents du soleil, je prends conscience à cet instant précis de la tournure des évènements passés. La mémoire me revient enfin. Oui, je me rappelle... J'ai un souvenir précis d'un 22 septembre 1986, où j'ai été larguée au large de Sainte-Flavie par l'entremise d'un bateau de pêcheurs, en compagnie de plusieurs autres bouteilles contenant chacune un message d'amitié et d'espoir.
Tout cela a pris naissance à partir d'un projet bien spécial dans une classe de cinquième année de l'école Saint-Joseph, aujourd'hui ayant pour nom école les Alizés. La missive secrète écrite à l'intérieur de mon habitacle appartient à Éric Côté, élève de cinquième année. Oui, je me remémore très bien...
Oh! Mais, dites-moi que je ne rêve pas, car je vois au loin, un monsieur accompagné d'une petite fille se promenant d'un pas léger sur la plage, en se dirigeant tout droit vers moi. Est-ce que ce serait le dénouement de mon aventure?
En espérant qu'ils me découvriront. Je souhaiterais enfin livrer la missive envoyée à la mer depuis plus de trois décennies déjà, par le jeune Éric. Il était alors âgé de onze ans à l'époque, au tout début de ce fantastique voyage.
Et, bien oui, quelle chance! Voilà qu'ils m'ont repérée. C'est ainsi qu'à la vitesse de l'éclair, je me retrouve comme un précieux trésor entre les mains de la petite fille, clamant son bonheur par des cris de joie devant son père. Ce dernier l'observant avec un air attendri et les yeux débordants d'amour. Voilà que se termine ma superbe aventure sur le rivage du majestueux fleuve Saint-Laurent. Mission accomplie.
N.B. Je suis cette enseignante qui avait mis en place ce projet d'un message d'amitié secret envoyé dans une bouteille. Toutes les bouteilles ont été envoyées à la mer avec l'aide d'un bateau qui pêchait au large de Sainte-Flavie.
J'ai en mémoire mon élève, Éric Côté, qui avait onze ans à l'époque. Il était en cinquième année. Éric était tellement gentil, un élève tellement attachant. En parlant avec sa mère, j'ai eu beaucoup de peine en apprenant qu'il était décédé en 2005.
C'est sur la plage à Sainte-Félicité que la bouteille a été retrouvée par monsieur Patrick Girard et sa fille, trente-cinq ans plus tard. Quel fabuleux voyage, ballotée sans cesse, saison après saison, contre vents et marées, dans le grandiose fleuve de notre magnifique coin de pays gaspésien.
Cher Éric, je crois que de là-haut, tu voulais que l'on retrouve ce message, afin de nous dire que tu n'oublies pas ceux que tu as chéris durant ta courte existence.
On te souhaite de tout 💗 un merveilleux voyage dans de paisibles contrées où le bonheur et l'amour existent, c'est certain, à profusion.
Écrit et publié par Martine Pelletier (auteure)