En ce temps-là, beaucoup de quêteux se promenaient, en été, sur les routes gaspésiennes.
Mais, les plus entêtés choisissaient la saison hivernale, pour frapper aux portes des maisons, surtout à la campagne, pour quémander quelques pièces de monnaie, de la nourriture ou un gîte pour la nuit.
Les enfants avaient une peur bleue de ce personnage peu ordinaire. On leur disait souvent que s'ils n'étaient pas sages, le quêteux pouvait les mettre dans sa poche et partir avec eux, loin de leurs parents.
Craintifs, les parents se méfiaient aussi de ces personnages étranges, dotés de pouvoirs de sorcellerie. Toujours prêts à jeter des sorts ou des malédictions, si on refusait de les héberger ou de les nourrir.
Les refus se caractérisaient fréquemment par l'absence de lait chez les vaches, des moutons venant au monde avec seulement trois pattes ou du blé poussant sans épi. Beaucoup d'autres surprenantes manifestations pouvaient aussi se produire.
Mais, l'évènement, qu'on ne pourra jamais oublier, se passa à Gaspé, chez la veuve Bélanger. C'était un soir hivernal, au froid mordant. Un quêteux cogna à sa porte, pour demander la charité.
N'ayant pas d'argent à lui remettre, elle s'empressa d'ouvrir le caveau à provisions, où reposait un panier contenant des oeufs frais, et en donna qu'un seul au mendiant.
Offusqué d'un tel don, il devint rouge de colère et lui a dit qu'il allait se souvenir d'elle pour très longtemps. Puis, il claqua la porte en grognant, maugréant fortement et en préparant son ultime vengeance.
La veuve était au désespoir, se demandant, avec une grande inquiétude, quel sort il allait lui jeter. Elle pressentait que des choses étranges allaient bientôt se passer, en réponse à cette visite surprise.
Après quelques instants, elle ne pensait plus du tout à son curieux visiteur. Tout à coup, elle entendit, à l'extérieur, caqueter ses poules, qui se baladaient joyeusement autour de la maison.
Mais, c'était impossible, car durant la saison hivernale, toutes les poules étaient bien à l'abri dans le poulailler.
Jetant un coup d'oeil à la fenêtre, elle vit, avec stupéfaction, ses poules ainsi que celles de ses voisins, suivre le jeteur de sort, à la file indienne.
Fier de sa petite vengeance personnelle, ce dernier se retournait parfois, en sifflotant et en ricanant. D'autres poules du village s'élançaient dans le cortège, heureuses de prendre l'air et profiter à leur tour de ces moments gratuits de liberté.
Soudainement, le défilé prit fin, devant la demeure des Marquis. Surprise! Café, le costaud chien noir, attendait avec un air de guerrier, cet imposteur non désiré.
Estomaqué de cette subite apparition, le quêteux prit son courage à deux mains. Il fila à toute allure, suivi sur les talons par l'imposant canin, qui ne demandait pas mieux de chasser l'intrus, jusqu'en bas d'une grande côte.
Terminée aussi, la courte escapade enneigée des nombreuses poules, qui retournèrent, très étonnées, mais bien au chaud, dans leur habitat d'hiver.
La légende nous rappelle, que dans notre sublime Gaspésie, on ne choisit pas ses quêteux, comme on choisit ses amis. Parole légendaire.
D'après Les Légendes Du Saint-Laurent
Adapté et publié par Martine Pelletier
Photos: mon choix et libres de droits