mardi 25 janvier 2022

Une bouteille à la mer ( 2 )










Qui n'a pas rêvé un jour de se promener sur une plage et de découvrir par hasard une bouteille contenant un message?  Une de cette découverte qui donne le goût de partir à l'aventure et ne jamais revenir. Je suis cette bouteille-là, et laissez-moi vous raconter mon histoire, qui est merveilleuse mais teintée d'un brin de tristesse.

Je n'en crois pas mes yeux! Est-ce croyable? Mon périple serait-il enfin terminé après avoir passé exactement trente-cinq années à me promener au gré des vents et des marées. Ou vais-je repartir tout simplement en voyage, ballotée encore et encore par les vagues, au large du grand fleuve Saint-Laurent? Au gré de ces vagues et du hasard, j'aurais pu échouer n'importe où, ou alors le message ne jamais être lu. Non, croyez-moi, je ne rêve pas. Je suis vraiment allongée sur une plage immense, à l'abri des regards curieux et coincée entre des galets de différentes couleurs et des brindilles de bois flotté. 

C'est certainement l'été car le soleil est haut dans le ciel. De plus, je suis recouverte de minuscules larmes d'eau salée car je viens tout juste d'arriver sur le rivage. Tout est si calme et l'horizon si vaste!  Où suis-je exactement? J'en ai aucune idée! Ah! Je crois apercevoir une indication là-bas près de la route: Bienvenue à Sainte-Félicité! Je suis complètement perdue mais au moins en sécurité, en attendant la prochaine marée qui, je l'espère, ne m'entraînera pas encore plus au large. Je suis si fatiguée de voyager sans boussole et sans destination précise.

Je peux vous dire que j'en ai vu de toutes les couleurs durant ces trente-cinq ans passés en cavale maritime. Des mers calmes au murmure endormeur, des mers sauvages comme des fauves brisant leurs lames sur des grands rochers noirs, accompagnées par le rugissement du tonnerre et enfin des mers glacées où le silence nocturne était roi et maître. 

Des voiliers aux voilures claires comme des matins d'été, qui passaient souvent non loin de moi, avec comme compagnons de fortune, volant haut dans le ciel, des oiseaux de mer faisant entendre leurs cris déchirants. Et d'autres, ivres de liberté, qui claquaient leurs ailes au vent du large. Des paquebots immenses d'où j'entendais le chant des matelots, mêlé à de la musique douce comme une brise marine. Et la plupart du temps, sous un ciel pur et étoilé! 

Sans oublier, toute cette faune marine, aux formes variées et aux couleurs magnifiques vivant au fond de cette majestueuse nappe d'eau salée! Tout ce monde sous-marin agrémentait mes instants de solitude, tout en me donnant une minime lueur d'espoir d'atteindre un jour le rivage en toute sécurité, afin de livrer le message qu'on m'avait confié. 

Quel bonheur aussi lorsque passait de temps en temps près de moi, en m'effleurant avec sa peau luisante et humide, un béluga ayant fière allure et nanti d'un regard de velours baigné de tendresse! Ce gentil clown des mers me donnait à coup sûr le courage de continuer ce voyage interminable.  Un jour, une sirène au corps gracieux et élancé m'a fait entendre son chant moqueur et envoûtant. Ce n'était peut-être qu'un rêve! Une sirène de mer dans les abysses du grand fleuve!  Mythe ou légende? Nul ne le sait.  Mais en toute franchise, j'aimais bien y croire.

Et le miracle se produit enfin! Réchauffée par les rayons ardents du soleil, je prends  conscience à cet instant précis de la tournure des évènements passés. J'ai un souvenir précis d'un 22 septembre 1986, où j'ai été larguée au large de Sainte-Flavie par l'entremise d'un bateau de pêcheurs, en compagnie de plusieurs autres bouteilles contenant chacune un message d'amitié et d'espoir. 

Tout cela a pris naissance à partir d'un projet en catéchèse dans une classe de cinquième année de l'école Saint-Joseph, aujourd'hui ayant pour nom école les Alizés. La missive secrète écrite à l'intérieur de mon habitacle appartient à Éric Côté, élève de cinquième année. Oui, je me souviens très bien.

Oh! Mais dites-moi que je ne rêve pas car je vois au loin, un monsieur accompagné d'une petite fille qui se promènent d'un pas léger sur la plage, en se dirigeant tout droit vers moi.  Est-ce que ce serait le dénouement de mon aventure? En espérant qu'ils vont me découvrir. Pour que je puisse enfin livrer la missive envoyée à la mer depuis plus de trois décennies déjà, par le jeune Éric. Il était alors âgé de onze ans à l'époque, au tout début de ce fantastique voyage. 

Et bien oui, quelle chance! Voilà qu'ils m'ont repérée. Et c'est ainsi qu'à la vitesse de l'éclair, je me retrouve comme un précieux trésor dans les mains de la petite fille, clamant son bonheur par des cris de joie devant son père, qui l'observe d'un air attendri et les yeux débordants d'amour. Et, c'est ainsi que se termine ma superbe aventure sur le rivage du majestueux fleuve Saint-Laurent! Mission accomplie!

Publié par Martine Pelletier (auteure)





Je suis cette enseignante qui avait mis en place ce projet d'un message d'amitié secret envoyé dans une bouteille. Toutes les bouteilles ont été envoyées à la mer avec l'aide d'un bateau qui pêchait au large de Sainte-Flavie. Et je me souviens aussi très bien de Éric Côté, qui avait onze ans à l'époque, il était en cinquième année. Oui, je me rappelle car Éric était tellement gentil et un élève tellement attachant. En parlant avec sa mère, j'ai eu beaucoup de peine en apprenant qu'il était décédé en 2005.

C'est sur la plage à Sainte-Félicité que la bouteille a été retrouvée par monsieur Patrick Girard et sa fille, trente-cinq ans plus tard. Quel voyage fabuleux, ballotée sans cesse, saison après saison, contre vents et marées, dans le grandiose fleuve de notre magnifique coin de pays!

Cher Éric, je crois que de là-haut, tu voulais que l'on retrouve ce message, afin de nous dire que tu n'oublies pas ceux que tu as chéris durant ta courte existence. On te souhaite de tout coeur un merveilleux voyage dans des contrées calmes où le bonheur et l'amour existent à profusion!

En espérant un jour pas si lointain, d'insérer dans cet écrit, la photo de Éric. Les recherches en ce sens se poursuivent!







2 commentaires:

  1. Oh my lord que c'est beau et triste en même temps et quelle verve, merci Martine pour ce beau texte

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